Le Chat, la Belette et le Petit Lapin

Le Chat, la Belette et le Petit Lapin - Illustration de Marcel Douillard

Le Chat, la Belette et le Petit Lapin - Illustration de Marcel Douillard

Version originale de Jean de La Fontaine, LIVRE SEPTIEME, FABLE XV

Du palais d'un jeune Lapin
Dame Belette un beau matin
S'empara ; c'est une rusée.
Le Maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
Elle porta chez lui ses pénates un jour
Qu'il était allé faire à l'Aurore sa cour,
Parmi le thym et la rosée.
Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours,
Janot Lapin retourne aux souterrains séjours.
La Belette avait mis le nez à la fenêtre.
O Dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître ?
Dit l'animal chassé du paternel logis :
O là, Madame la Belette,
Que l'on déloge sans trompette
Ou je vais avertir tous les rats du pays.
La Dame au nez pointu répondit que la terre
Était au premier occupant.
C'était un beau sujet de guerre
Qu'un logis où lui-même il n'entrait qu'en rampant.
Et quand ce serait un Royaume
Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi
En a pour toujours fait l'octroi
A Jean fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume,
Plutôt qu'à Paul, plutôt qu'à moi.
Jean Lapin allégua la coutume et l'usage.
Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis
Rendu maître et seigneur, et qui de père en fils,
L'ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis.
Le premier occupant est-ce une loi plus sage ?
- Or bien sans crier davantage,
Rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis.
C'était un chat vivant comme un dévot ermite,
Un chat faisant la chattemite,
Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
Jean Lapin pour juge l'agrée.
Les voilà tous deux arrivés
Devant sa majesté fourrée.
Grippeminaud leur dit : Mes enfants, approchez,
Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause.
L'un et l'autre approcha ne craignant nulle chose.
Aussitôt qu'à portée il vit les contestants,
Grippeminaud le bon apôtre
Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre.
Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois
Les petits souverains se rapportant aux Rois.

Version maraîchine et traduction

Parlange Français
A

u mois d'Avrit, un béa matin,

Un' Belett', qu'était ja rouée,
Se baugit dans l' trou d'un Lapin,
Sorti dès le soleil levé.
Al avait odjut l' temps d'am'ner ses garnicelles,
Pendant qu' Jeannot Lapin, li, courait la fumelle.
L'avait tot fait ses hard's, le rev'nait à chat p'tit,
Pensant qu'o valait mieux aller de rabinée,
Pour rester se r'poser au niqu' à la resciée,
D'autant que le béa temps l' mettait en appétit.
Quand d' manger le fut saoul,
Moué de galvauder,
Le tornit à son trou.
Ah ! mais le fit un nez,
Quand l'avisit bouter la tête à tchia galande.
Et le dicit : « Qu'est-o qu'o y a chez mo, Jésus ?
Depuis quand a-t-on droit, tchié y vous demande,
D' prend' le logis daus autres ? Y veux bé d'êtr' pendu
Si vous pouvez m'o dire... O faut, belle Belette,
Vous en aller chez vous, laissez ma place nette,
Sans tchié y va hucher tos les rats dau pays. »
Tchia belle mijaurée, à la goule pointuse,
Piquant' comme une puse,
Aussitôt répounit :
Que tchiau qu' est le premier à occuper la terre,
L'avait à li - qu' t'chiétait ja l' coup d' se fair' la guerre
Pour un falli logea où faut d'être abounit.
« Tchi s'rait-o, dicit-ell', mêm une métoirie,
O y a sûr pouet de loi qui, à ma connaissance,
Donne à Jacquet ou Guste, tchié que son père avait,
Au lieu qu'o sais-j' à mo plutôt qu'o reviendrait. »
- Jean Lapin, à son tour, dicit qu'à sa croyance
O y avait pas d'erreur ; tchia d'meure était à li,
Vu que les lois depuis bé plus longtemps qu'on pense
Disant : que l' bien d'un père revient tot dret au fils.
« As-tu jamais vu tchié ! Le diable de l'engeance !
Tchi s'rait un béa chantier d'êtr' le premier pour prendre. »
« Y gueulrians deux jours, qu'à dit, sans nous entendre.
Au lieu d'être de même, à jeter les hauts cris,
Y allons nous rapporter à Raminagrobis. »
Connu à dix lieues à la ronde,
T 'chiétait un Chat, vivant r'tiré dau monde.
L'avait un air dévôt', et daus petit's manières
Que le semblait tot miel ; regardant d' gauch' à dret.
Un Chat ben embourré, qu' avait le ventr' replet.
Le causait comme un Saint. Comme li y en avait guère
Pour donner daus conseils, régler les désaccords.
Jean Lapin acceptit, pensant qu' l'aurait pouet tort,
Et tos deux, devant li, furant tot arrivés.
L' s'empressirant d' saluer tchia Majesté fourrée.
Grippeminaud dicit : « Venez plus pros de mo,
Pauvr's enfants, y entends haut, y sais sourd comm' un pot.
Tchi vaut rin de vieillsir. Si vous êtes pas pros,
Vous aurez béa hucher, y entendrais pouet un mot. »
L'approchirant bé sûr, l'aviant ja l'air méfiouts
Quand l' furant à portée, Grippeminaud, si doux,
Fit tomber sur entr'eux ses griffes aiguisées ;
Et les mangit. L'affaire était réglée.

Au lieu d'aller vous faire époutir par un grout,
Arrangez-vous donc entre mis entre vous.

Au mois d'Avril, un beau matin,

Une Belette, qui n'était guère rusée,
Se fourra dans le terrier d'un Lapin,
Sorti dès le soleil levé.
Elle avait eu le temps d'apporter ses affaires,
Pendant que Jeannot Lapin, lui, courait la femelle.
Il avait fait toutes ses affaires, il revenait petit à petit,
Pensant qu'il valait mieux aller pendant la matinée,
Pour rester se reposer au nid pendant l'après-midi,
D'autant que le beau temps le mettait en appétit.
Quand de manger il fut rassasié,
Lassé de s'affairer,
Il retourna à son trou.
Ah ! mais il fit une drôle de tête
Quand il vit sortir la tête de cette dame.
Et il dit : « Qu'est-ce qu'il y a chez moi, Jésus ?
Depuis quand a-t-on le droit, ça je vous le demande,
De prendre le logis des autres ? Je veux bien être pendu
Si vous pouvez me le dire... Il faut, belle Belette,
Vous en aller chez vous, laissez ma place nette,
Sans celà je vais appeler tous les rats du pays. »
Cette belle mijaurée, à la goule pointue,
Piquante comme une puce,
Aussitôt répondit :
Que celui qui est le premier à occuper la terre,
Il l'avait à lui - que cela ne valait guère le coup de se faire la guerre
Pour un fichu taudis où il faut être accroupi.
« Cela serait, dit-elle, même une métairie,
Qu'il n'y a sûrement pas de loi qui, à ma connaissance,
Donne à Jacques ou Auguste, ce que son père avait,
Au lieu que cela soit à moi plutôt que cela reviendrait. »
- Jean Lapin, à son tour, dit que, selon lui,
Il n'y avait pas d'erreur ; cette demeure était à lui,
Vu que les lois depuis bien plus longtemps qu'on ne pense
Disent : que le bien d'un père revient tout droit au fils.
« As-tu jamais vu ça ! Le diable de l'engeance !
Cela serait un beau travail d'être le premier pour prendre. »
« Nous hurlerions pendant deux jours, dit-elle, sans nous mettre d'accord.
Au lieu d'être comme ça, à pousser les hauts cris,
Nous allons nous rapporter à Raminagrobis. »
Connu à dix lieues à la ronde,
C'était un Chat, vivant retiré du monde.
Il avait un air dévôt, et des petites manières
Qui le faisait sembler tout miel ; regardant de gauche à droite.
Un Chat bien fourré, qui avait le ventre rebondi.
Il parlait comme un Saint. Comme lui il n'y en avait guère
Pour donner des conseils, régler les désaccords.
Jean Lapin accepta, pensant qu'il n'aurait pas tort,
Et tous deux, devant lui, furent bientôt arrivés.
Ils s'empressèrent de saluer cette Majesté fourrée.
Grippeminaud dit : « Venez plus près de moi,
Pauvres enfants, j'entends mal, je suis sourd comme un pot.
Cela ne vaut rien de vieillir. Si vous n'êtes pas près,
Vous aurez beau crier, je n'entendrai pas un mot. »
Ils approchèrent bien sûr, ils n'avaient pas l'air méfiant
Quand ils furent à sa portée, Grippeminaud, si doux,
Fit tomber sur eux ses griffes aiguisées ;
Et les mangea. L'affaire était réglée.

Au lieu d'aller vous faire écraser par un gros,
Arrangez-vous donc entre vous.

Le Chat, la Belette et le Petit Lapin - Illustration de bas de page

Le Chat, la Belette et le Petit Lapin - Illustration de bas de page

Notes

Trompette : « On dit qu'il faut déloger sans trompette quand on chasse quelqu'un, quand on l'oblige à s'enfuir avec précipitation. » (Furetière). L'origine de l'expression est militaire : une troupe qui lève le camp sans faire de bruit.

Les belettes et les rats sont ennemis dans les Fables de La Fontaine.

« Chattemite : qui fait l'humble, le dévot, l'hypocrite pour tromper les autres. » (Furetière)

Bien fourré : souvenir de Rabelais : les chats fourrés sont les juges. Grippeminaud est l'archiduc des chats fourrés chez Rabelais.

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