Historique

Quelles langues a-t-on parlées sur le territoire géographique du Bas-Poitou depuis les origines jusqu'à nos jours ? Qui les parlait ? C'est à ces questions que ce chapitre tente d'apporter des débuts de réponse. L'objectif est modeste tant la tâche est ardue pour un non-historien et non-linguiste. Il s'agit là de la synthèse de ce que j'ai pu lire sur le sujet.

On peut décomposer l'histoire des langues pratiquées dans le Bas-Poitou en grandes périodes historiques. Les voici.

La période préhistorique (De 1 million d'années avant J.-.C à 2500 ans avant J.-.C)

Parlons rapidement de la période préhistorique pour laquelle nous ne disposons d'absolument aucun vestige du langage, mais seulement des documents archéologiques recueillis dans les fouilles. Inutile donc de se perdre en conjectures invérifiables. L'australopithèque apparut il y a cinq millions d'années, l'Homo habilis il y a 2.200.000 ans. Sans doute communiquait-il déjà avec quelques mots isolés. Certains spécialistes pensent que c'est seulement l'Homo erectus qui commença à disposer, il y a un million d'années, d'un protolangage, forme de langage peu sophistiquée sans syntaxe avec des groupes minimaux de mots. Le langage proprement dit ne serait apparu qu'avec l'Homo sapiens il y a environ 200.000 ans.

La période pré-celtique (De 2500 ans avant J.-C. à 1000 ans avant J.-.C)

La première période ayant légué des mots est celle de la proto-histoire, c'est-à-dire la période pré-celtique, pour laquelle on dispose d'éléments de toponymie (noms géographiques).
Ce sont les peuplades de cette période qui érigèrent en nombre les monuments mégalithiques qui subsistent de nos jours. N'en déplaise à Obélix, soi-disant tailleur et livreur de menhirs, les Gaulois ne furent pas à l'origine de ces monuments, mais ce furent bien leurs prédécesseurs. Ils occupaient alors la majeure partie de la France, y compris le Bas-Poitou, comme on peut le constater sur les cartes ci-dessous :

Cartes des mégalithes

Répartition des monuments mégalithiques

Voici des témoignages de leurs séjours dans le Bas-Poitou :

Menhir d'Avrillé Dolmen de la Frébouchère

Menhir d'Avrillé

Dolmen de la Frébouchère (Le Bernard)

Les langues parlées par ces peuples nous sont inconnues. Il est possible que la langue basque soit une survivante des langues de cette époque.

La période celtique (De 1000 ans avant J.-C. à 51 avant J.-.C)

Venus d'Europe centrale, les peuples celtes investirent progressivement le territoire qui va devenir la Gaule.

Carte de l'expansion celte

L'expansion celte

Ce sont les Pictons (ou Pictaves) qui occupaient le Bas-Poitou. Ils formaient une confédération de tribus alliées : Ambiliates au nord, dans le Bocage et les Mauges, Agnagutes au centre en pays de Retz et de Pareds, Agésinates en bordure de l'océan. Voici l'état de la Gaule au moment où César s'apprêtait à la conquérir.

Carte de la Gaule celtique

La Gaule avant l'invasion romaine

La langue celtique parlée par les Gaulois a laissé peu de traces : les druides, vecteurs de la culture gauloise, suivaient une tradition orale et interdisaient même les écrits de nature religieuse ou philosophique. Les Gaulois ne disposaient d'ailleurs d'aucun système d'écriture. Un commerçant de Nîmes, au contact des Grecs, fit quand même graver une inscription en l'honneur de Taranis, en transcrivant phonétiquement sa langue en caractères grecs. Cette langue, différente du breton, comprenait conjugaisons et déclinaisons. Il faut dire que le gaulois et le breton n'appartiennent pas à la même branche des langues celtiques : si le breton relève de la branche brittonique, le gaulois constitue, quant à lui, une branche à part, morte aujourd'hui. C'est sans doute une langue un peu éloignée que parlaient les Celtes du Bas-Poitou de l'époque : en l'absence de norme écrite limitant les divergences, chaque tribu celte parlait sa propre langue celtique. Le gaulois a légué assez peu de mots aux patois bas-poitevins : entre 3 et 4 % seulement du lexique. En revanche, un bon nombre d'éléments toponymiques a subsisté : Vendo (la Vendée, rivière), Ledo (le Lay, fleuve), etc.

La période latine et bas-latine (De 51 avant J.-.C à 450 après J.-C.)

L'invasion romaine

Depuis sa fondation en 753 avant J.-C. dans le Latium par une coalition de Romains et de Sabins, Rome suivit toujours une expansion constante. En 59 avant J.-C., César partit à la conquête de la Gaule. En 57 avant J.-C., ses légions arrivèrent en Bretagne et dans le Bas-Poitou. Le chef des Pictons, Duratius, constatant son infériorité militaire, préfèra se rendre pour épargner aux siens les souffrances d'une défaite et des destructions inutiles. Après un ralliement de courte durée des Pictons à l'appel de Vercingétorix en 51 avant J.-C., Duratius se rangea définitivement sous l'autorité de César et le Poitou fut rattaché à la province d'Aquitaine. Vainqueurs et vaincus finirent par former une société assez homogène : les Gallo-Romains.

Carte de la Gaule gallo-romaine

La Gaule après l'invasion romaine au milieu du IIe siècle

La langue parlée par les Romains était bien sûr le latin. C'est une langue indo-européenne de la famille des langues italiques (cf. section classification) : ceux qui ont étudié le latin pendant leur scolarité savent bien qu'il s'agit d'une langue complexe et subtile, avec cinq déclinaisons à six cas, quatre conjugaisons et une grammaire élaborée. Les Romains n'imposèrent pas vraiment leur langue aux vaincus : ils ignorèrent simplement les langues barbares (i.e. étrangères) et s'organisèrent pour rendre le latin indispensable à la promotion sociale et aux échanges commerciaux. Cependant, avant même l'arrivée des Romains en Gaule, il existait déjà deux latins différents :

Le latin littéraire était pratiqué par les rhétoriciens à Rome, comme Cicéron par exemple. Mais ce fut bien sûr le latin parlé qui fut importé par les légions et les colonisateurs romains, un latin beaucoup moins homogène que le latin classique très codifié.

Latin littéraire Latin parlé Parlange Français
equus caballus chevao (chevaù en G.N.) cheval
edere manducare mangéï (manjhàe en G.N.) manger
pulcher bellus bia (bea en G.N.) beau
Comparaison latin littéraire et latin parlé

Le lexique du bas-poitevin, ainsi que celui du français populaire (i.e. non savant), provient massivement du latin parlé. Ce tableau comparatif n'en montre que quelques exemples.

En linguistique, on dit que le strat latin a subi l'influence du substrat gaulois (une couche de langage en recouvre une autre). On considère que l'influence du substrat gaulois est la plus forte rencontrée en territoire latin. On lui attribue notamment le passage du u latin (prononcé ou [u]) au u français et bas-poitevin (prononcé u [y]) : culus [kulus] donne tchul (çhu en G.N.). On lui attribue également le passage de ct à it : lactum donne lait (prononcé lét [le] en bas-poitevin).

Le latin était la seule langue officielle : il apparaît néanmoins que le gaulois continua à être pratiqué en parallèle au moins jusqu'au IIe siècle (inscriptions découvertes en gaulois et en latin à Ensérune). Déformé par le substrat gaulois et par l'usage, le latin devint le bas-latin (l'adjectif bas est à considérer au sens temporel d'une part dans bas-latin, au sens géographique d'autre part dans bas-poitevin).

Les invasion barbares

Dès le milieu du IIIe siècle, des tribus germaniques commencèrent à assaillir l'Empire romain : les Francs et les Alamans pénètrèrent, parfois très profondément, derrière la frontière (le limes). Ces incursions se multiplièrent régulièrement jusqu'au début du Ve siècle où de véritables invasions eurent alors lieu : Alains, Burgondes, Alamans, Suèves, Vandales, Lombards, Francs, Ostrogoths, Wisigoths, de multiples peuples germaniques, parfois eux-mêmes chassés par les Huns, déferlèrent sur la Gaule. En 476, l'Empire romain chuta définitivement. Dans le Poitou, les envahisseurs étaient les Alains, les Suèves et les Vandales. Un demi-siècle plus tard, ce furent les Wisigoths qui en prirent le contrôle.

Carte de la fin de la Gaule gallo-romaine

La fin de la Gaule gallo-romaine

La chute de l'Empire romain marqua la fin de l'unité du latin (même devenu bas-latin, il tenait toujours lieu de koinê). Les grandes invasions, en ruinant l'Empire, abaissèrent le niveau culturel et abandonnèrent sa langue à elle-même.

La période du roman ou gallo-roman (De 450 au IXe siècle )

Dès 507 (victoire de Vouillé), Clovis, roi des Francs, mit fin à la puissance wisigothique en Gaule. Les Francs sortirent grands vainqueurs des affrontements ayant cours aux VIe et VIIe siècles. Le Poitou appartenait alors au Royaume d'Orléans lors du partage de 511.

Carte du Royaume franc lors du partage de 511

Royaume franc lors du partage de 511

Puis le Poitou appartient à la Neustrie lors du partage de 561.

Carte du Royaume franc lors du partage de 561

Royaume franc lors du partage de 561

Au VIIIe siècle, Eudes, roi d'Aquitaine et Charles Martel s'unirent pour stopper l'invasion des Arabes à Poitiers en 732. Le Poitou, pacifié après le règne de Charlemagne et de nouveaux partages, subit ensuite les attaques des Vikings. Ce n'est qu'en 911 que le traité de Saint-Clair-sur-Epte ramena la paix en leur concédant une partie de l'actuelle Normandie.

Sur le plan linguistique, les invasions germaniques représentent un cas rarissime dans l'histoire : les vainqueurs germains ne furent pas en mesure d'imposer leur langue, ou plutôt leurs langues. Car chaque peuple germanique parlait une langue propre : les Francs, par exemple, parlaient le francique. Le morcellement et le partage sans cesse renouvelé des royaumes germaniques ne permirent pas aux vainqueurs d'imposer leur langue aux populations vaincues. Néanmoins, la langue germanique influa en tant que superstrat (couche supérieure) sur le bas-latin. On ne put plus alors parler encore de bas-latin. Le roman allait apparaître avec des différences sensibles selon les pays où le bas-latin était pratiqué : dans ce qui était la Gaule, ce fut le gallo-roman.

Le germanique (surtout le francique) a fourni entre 12 et 13 % du lexique du bas-poitevin. Il a également apporté des transformations phonologiques, comme le son ch. Le roman simplifia les déclinaisons : il ne subsista que deux cas : le cas sujet et le cas régime (i.e. objet). Exemple : roman s'écrivait romanz au cas sujet et romant au cas régime.

En 813, le Concile de Tours prêcha pour l'usage des langues vulgaires plutôt que du latin pour la bonne compréhension du peuple. En fait, une diglossie s'était installée : l'élite, dont le clergé fait partie, continua d'utiliser le latin classique comme langue de l'Eglise tandis que le peuple parlait en roman. La langue populaire romane se diversifia à loisir, ne disposant plus d'aucun modèle supérieur. Ce processus aboutirait quelques siècles plus tard à l'impression que le patois change dans chaque village du Bas-Poitou (et d'ailleurs...).

La période des langues romanes anciennes (Du Xe siècle au XVe siècle)

En 987, Hugues Capet parlait en francien, la langue romane qui aboutirait au français. Le francique ne fut plus utilisé par les rois. Le roman l'avait définitivement emporté sur le germanique. Du Xe siècle au XIIe siècle, l'état poitevin confèra aux comtes de Poitiers, ducs d'Aquitaine, une puissance comparable à celle du roi de France. Après être passé plusieurs fois sous contrôle anglais du temps d'Aliénor d'Aquitaine en 1152, puis de Jean le Bon en 1360, et enfin d'Henri V en 1420, après avoir récupéré quelque temps son indépendance, le Poitou redevint français en 1453. A partir de ce moment, le Poitou n'eut donc plus à défendre une quelconque langue nationale du Poitou, et le poitevin s'en trouverait fragilisé quand le français commencerait à le concurrencer.

Dans le Poitou, c'est le poitevin, dialecte frère du francien parlé par le roi de France, qui représentait l'évolution du roman. Une grande famille de langues d'oïl se constitua au nord de la France.

Carte des zones géographiques des langues d'oïl et d'oc

Carte des zones géographiques des langues d'oïl et d'oc

Les mots oc et oïl signifient oui tous les deux : oc provient de hoc est, oïl de hoc illud est, ce qui signifie en latin à peu près la même chose : c'est ceci et ceci est celà.

Carte des langues de France

Carte des langues de France

A la cour du comte de Poitiers, on préférait l'occitan. Le peuple, lui, parlait le poitevin en cours de formation, sans doute un intermédiaire entre langue d'oc et langue d'oïl. Je n'ai pas trouvé d'extrait de texte écrit dans cette langue à cette époque pour illustrer l'état du bas-poitevin de cette époque.

Vous pouvez trouver une liste des premiers écrits en poitevin sur le site pivetea.free.fr.

La période du bas-poitevin (Du XVIe siècle au XIXe siècle)

L'histoire de France de cette période fut tourmentée comme les précédentes : guerres, consolidation de la monarchie absolue, révolution française, empires, ... Mais une tendance forte peut être dégagée : quel que soit le mode de gouvernement, il convergea vers toujours plus de centralisme et de jacobinisme, ce qui influa considérablement sur les pratiques linguistiques sur le territoire français en général, et bas-poitevin en particulier.

En 1539, une ordonnance royale imposa le français (c'est-à-dire ce qu'était devenu le francien) pour la rédaction des actes d'état-civil, les arrêts et procédures. Ce fut le début d'une série de décisions qui allait provoquer une longue mais inexorable progression du français par rapport à toutes les autres langues pratiquées en France, y compris le bas-poitevin. Le français devint langue de l'Etat, remplaçant le latin pour les écrits officiels. Dans l'immédiat, cette décision ne provoqua aucun changement dans la manière de parler des classes bas-poitevines populaires. Néanmoins, l'élite comprit dès lors que le français allait suppléer le latin pour ses échanges. Une autre diglossie commença : celle du français et du bas-poitevin.

En 1635, le cardinal Richelieu créa l'Académie française. En 1714, le français fut utilisé pour rédiger le traité de Rastadt, un document juridique international. Le français s'immisçait lentement dans les classes plus favorisées du Bas-Poitou, celles immédiatement inférieures comprenant simplement le français sans le parler, et les classes les plus populaires (les plus nombreuses) ne parlant que le patois.

En 1793, l'abbé Henri-Baptiste Grégoire publia son fameux Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française. Le décret du 2 Thermidor de l'an II (20 juillet 1794) fixa les peines pour les agents publics qui ne rédigeraient pas leurs actes en français. Néanmoins, le peuple bas-poitevin continua de parler ses patois, ainsi que les agents publics ou cléricaux pour peu qu'ils souhaitassent être compris à coup sûr. Mais la proximité de plus en plus grande du français par rapport au bas-poitevin en fit un adstrat envahissant : beaucoup de vocabulaire passa ainsi du français au bas-poitevin.

Pendant cette pédiode, le bas-poitevin comme les autres dialectes se simplifia et se modernisa, abandonnant par exemple la déclinaison à deux cas qui subsistait (c'est le cas régime qui survécut). En revanche, le bas-poitevin conserva de nombreuses diphtongues et triphtongues que le français perdit.

La période du français (XXe et XXIe siècles)

Il semblerait que ce fût l'instauration de l'école gratuite et obligatoire par Jules Ferry en 1881 qui ait vraiment concrétisé l'œuvre commencée quatre siècles plus tôt ; la méthode de répression et d'humiliation entreprise porta ses fruits avec, par exemple, les fameux écriteaux stipulant dans les écoles : "Il est interdit de cracher par terre et de parler patois". De plus, le brassage de population sans précédent provoqué par la Première Guerre Mondiale confirma cette tendance forte. L'exode rural, puis plus tard, les moyens de communication de masse (radio et télévision) entérinèrent la pratique universelle du français en France.

La pratique du bas-poitevin perdure encore aujourd'hui mais les locuteurs de langue maternelle bas-poitevins et restés monolingues jusqu'à l'école sont devenus rarissimes. La pratique du ll mouillé a commencé à disparaître vers 1890, remplacée par un yod français [j]. Le vocabulaire et la grammaire employés ont tourné nettement à l'avantage du français. Le patois bas-poitevin n'est plus vraiment parlé dans le Bas-Poitou, mais il subsiste encore par endroits qui un français régional, qui une langue hybride intermédiaire entre le français et le bas-poitevin.

Echelle

Cette échelle synthétise la chronologie présentée ci-dessus.

La période préhistorique



protolangage


1 million d'années
avant J.-.C

La période pré-celtique



Langues non connues
(de type basque ?)


2500 ans avant J.-C.

La période celtique



langues celtiques
dont le gaulois (gaélique)


1000 ans avant J.-C.

La période latine



latin et bas-latin


51 avant J.-.C

La période gallo-romane



gallo-roman


450 après J.-.C

La période des langues
romanes anciennes



poitevin ancien


Xe siècle

La période poitevine



bas-poitevin


XVIe siècle

La période française



bas-poitevin
et français


XXe siècle

Evolution chronologique des langues pratiquées dans le Bas-Poitou

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