Feu de brande

Dix fables de La Fontaine
interprétées en patois du Marais Vendéen
 

Dessin de couverture de Feu de Brande

Texte et illustrations
de Marcel DOUILLARD


Il a été tiré de cet ouvrage :

10 exemplaires sur Vélin de Rives
aquarellés par l'Auteur
numérotés de 1 à 10

10 exemplaires sur Vélin de Rives
dessins sur fond teinté
numérotés de 11 à 20

1.000 exemplaires sur Papier
Canson Mécanographie
numérotés de 21 à 1.020

Ce tirage constitue l'édition originale

Exemplaire Nº 508


LETTRE de MADAME DE SÉVIGNÉ
à
MADAME DE GRIGNAN

Je couchai hier à Challans, sur les confins du Bas-Poitou, et vous écris ce mot, en hâte, pour vous mander, ma chère bonne, la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus miraculeuse, la plus étourdissante, la plus extraordinaire, la plus incroyable qu'il m'ait été donné de rencontrer en ce pays.
Je voudrais que vous la devinassiez. Vous plaît-il d'essayer ?
Je vous la donne en trois. Bast ! Renoncez-y, croyez-moi et jetez votre langue à tous les chiens.
Je vous vois d'ici vous émerveillant. Quel est ce voyage dont vous n'avez ouï parler ? Ne suis-je pas comme vous, hélas et depuis longtemps, au séjour des ombres ? Il me faut donc vous livrer mon secret, sachant que vous n'imitez jamais la bavarde commère de notre cher Fabuliste.

Je m'en fus donc, ma chère fille, au pays des vivants. Un besoin subit de me dissiper - ce qui peut sembler comique à mon âge - un besoin impérieux d'air frais, civil et galant.
Je me sentais terriblement seule et triste, Madame de Chaulnes ma compagne habituelle, sans cesse enfermée avec son Monsieur Rochon que l'on affirme n'être que son conseil particulier, Madame de Kerman de plus en plus délicate et toujours en lamentations, et mon vieux Corbinelli, de plus en plus abîmé jusque par-dessus la tête dans sa Philosophie Christianisée et dans les Livres Saints.
J'étouffais, tout simplement. Aussi par un beau clair d'étoiles, preste comme un mousquetaire, je franchis le mur, hop ! à l'endroit que vous connaissez bien où à chaque printemps, comme aux Rochers, je me plais à écouter chanter le rossignol parmi les viornes et les volubilis.
Je pensais gagner la Bretagne, quand un coup de vent malicieux, qui sans doute avait son dessein, me déposa en cette contrée du Bas-Poitou dont jusqu'ici je n'avais connaissance.
Ah ! ma fille que n'êtes vous auprès de moi ! L'air est tout embaumé, c'est la saison des foins. Je croyais savoir ce qu'est faner. Quelle ignorance était la mienne ! Ce n'est qu'en Bas-Poitou que faner est la plus jolie chose du monde : retourner le foin en batifolant dans des prairies si vastes qu'on ne peut en apercevoir les limites. J'en ai vu les beautés pendant quatre ou cinq lieues : prairies qu'inonde l'hiver et prodigieusement fertiles, pomponnées de peupliers blancs, de saules et de tamaris, rayées de canaux lumineux qu'enjambent, comme en se jouant, des amours de ponts minuscules, et parsemées sans ordonnance, de maisons basses à capuches rousses, de maisons hautes coiffées de rose, petits châteaux qu'on me dit être des fermes, ce dont je ne veux croire un mot, ragot à coup sûr, de quelque fâcheux plaisantin.

Mais je vous devine pourpre d'impatience.
- Au fait, ma mère, au fait ! La chose la plus surprenante, la plus merveilleuse ? De grâce, vite, dites-le moi, ou bien je me pâme ou bien je meurs !
Vous me pardonnerez de vous faire parler, ma bonne, à la manière de la Calprenède, que je déteste de tout mon cœur, tout en ne laissant pas de m'y prendre comme à de la glu.
Il me faut donc céder à votre curiosité :
Un homme paraît à mon côté. Voilà.
- Un homme ! Me direz-vous. Qu'y a-t-il là d'extraordinaire ?
- Peut-être ! Cependant, là est le merveilleux. Vous ne devinez pas ? Cherchez... cherchez l'homme.
- Monsieur Fouquet ?
- Point. Le pauvre fait et refait ses comptes, dont il ne sortira jamais.
- Monsieur de Lauzun ?
- Il ne quitte d'un pouce la Grande Mademoiselle.
- Monsieur de Louvois ? Monsieur Colbert ? Racine, Molière, Boileau ?
- Quelle ardeur ! Vous chauffez, ma chère, si vous ne brûlez pas encore.
- Notre ami La Fontaine ?
- Ne cherchez plus, je vous tiens quitte. Ecoutez l'aventure
Bref de taille, un peu replet, bien pris de sa personne, des lunettes brillantes sur un œil malin, un homme cheminait près de moi, des feuillets à la main et lisait des vers, à voix haute.
Je ne manquai pas de prêter l'oreille ; notre inconnu lisait des fables : Le Chat La Belette et le Petit Lapin, Le Corbeau et le Renard, La Cigale et la Fourmi, Les Animaux malades de la Peste, d'autres encore... Il lisait des Fables, celles de La Fontaine à ce que je pus croire, et cependant... ce n'était pas elles. Etais-je le jouet de quelque enchantement ?
Par quel sortilège, ces Fables m'offraient-elles un nouveau visage, se paraient-elles de nouveaux atours, embaumaient-elles de nouveaux parfums, pénétrants et sauvages, senteurs d'herbe, de granges et de terre mouillée ?

Si leur langue me parut étrange, et certains mots furieusement obscurs, j'en perçai bien vite, cependant, le mystère :
Ce poète accommodait notre Fabuliste à la façon de son pays, en faisait un plat savoureux à souhait, relevé à point de verve paysanne et de truculent patois.
Ah ! ma bonne, quel régal pour moi de l'entendre. Il se jouait les fables à soi-même, s'en donnait la comédie, tout comme notre ami La Fontaine quand il nous en fit part chez Madame de La Fayette. Hélas ! Que notre bonhomme n'était-il là, il en aurait goûté tant de joie ! Il me faudra un jour m'accrocher à ses basques et le traîner jusqu'ici.

Le nom du Magicien, réclamez-vous sans doute ? Voici ! Soyez satisfaite : Marcel Douillard ! Notez-le bien sur vos tablettes.
Je compte me procurer sous peu quelques-uns de ses petits chefs-d'œuvre et vous les enverrai par le plus prochain ordinaire afin que vous puissiez juger si je dis vrai ou non.
La manière de les narrer et leur style sont choses à quoi l'on ne s'accoutume pas.

Je pense que vous ne me blâmerez point de mon équipée, ma bonne, et croyez toujours bien que je vous aime.

Pour copie conforme :
Alain d'AYZAC.

Retourner à l'accueil Parlange