Le Lion malade et les Renards

Version originale de Jean de La Fontaine, LIVRE SIXIEME, FABLE XIV

LE LION MALADE ET LE RENARD

De par le Roi des Animaux,
Qui dans son antre était malade,
Fut fait savoir à ses vassaux
Que chaque espèce en ambassade
Envoyât gens le visiter,
Sous promesse de bien traiter
Les Députés, eux et leur suite,
Foi de Lion très bien écrite.
Bon passe-port contre la dent ;
Contre la griffe tout autant.
L'Édit du Prince s'exécute.
De chaque espèce on lui députe.
Les Renards gardant la maison,
Un d'eux en dit cette raison :
Les pas empreints sur la poussière
Par ceux qui s'en vont faire au malade leur cour,
Tous, sans exception, regardent sa tanière ;
Pas un ne marque de retour.
Cela nous met en méfiance.
Que Sa Majesté nous dispense.
Grand merci de son passe-port.
Je le crois bon ; mais dans cet antre
Je vois fort bien comme l'on entre,
Et ne vois pas comme on en sort.

Version maraîchine et traduction

Parlange Français
D

e leur Roi Le Lion, chaque manièr' de bête

Avait reçu un mot d'écrit'
Li disant qu' bé malade, au laëte,
Le comptait avoir la visite
De un au moins par maisonnée ;
Et pour chacun d'entr'eux, le fixait la jornée.
Pour entreprendre tchiau voyage,
T'chiest ja que l'aviant pouet d'ovrage ;
Mais, le s' voyant teurtos un p'tit obligés
De fair' tchia politesse à leur Majesté.
Et pis sur chaqu' papier ol était mis de même
Que durant leur passag' tchi s'rait pouet le carême.
Le pourriant en parler pendant bé daus années ;
Enfin que l'étiant sûrs d'être pouet maltraités.
Tos tchiels qu' étiant choisis partiant voir le malade,
Y avait que les Renards qu' étiant pouet d' la balade ;
Et qui restiant en leur logis.
Pourquoi ?... L'un d'entr'eux o dicit :
« Y ai begné sur la rout' qui mène chez le Lion
Et pis y ai ja tardé à m' faire tchiall' opinion.
On voit rin que daus pas allant pour visiter,
Mais on en voit pas un torner vers le tchayré.
Vous pensez que, dans tchiés conditions,
Y sont pouet chauds d' l'invitation.
Le billet qu'y avons reçu est vanter' engageant,
Mais le garantit pouet daus griffes ni daus dents. »

A fêter en Château, on peut d'êtr' invité,
Mais faut d'êt' sûr d'avance d' pouet s'y fair' épialer.

De leur Roi Le Lion, chaque espèce d'animal

Avait reçu un mot
Lui disant que, bien malade, au lit,
Il comptait avoir la visite
De un au moins par maisonnée ;
Et pour chacun d'eux, il fixait la journée.
Pour entreprendre ce voyage,
Ce n'est pas qu'ils n'avaient pas de travail ;
Mais, ils se voyaient tous un peu obligés
De faire cette politesse à leur Majesté.
Et puis sur chaque papier il était mis comme ça
Que durant leur passage ce ne serait pas le carême.
Ils pourraient en parler pendant bien des années ;
Enfin qu'ils étaient sûrs de n'être point maltraités.
Tous ceux qui étaient choisis partaient voir le malade,
Il n'y avait que les Renards qui n'étaient pas de la promenade ;
Et qui restaient en leur logis.
Pourquoi ?... L'un d'eux le dit :
« J'ai regardé sur la route qui mène chez le Lion
Et puis je n'ai guère tardé à me faire cette opinion.
On ne voit rien que des pas allant pour visiter,
Mais on n'en voit aucun retourner vers l'aire.
Vous pensez que, dans ces conditions,
Nous ne sommes pas enthousiastes pour l'invitation.
Le billet que nous avons reçu est peut-être engageant,
Mais il ne protège ni des griffes ni des dents. »

A fêter en Château, on peut être invité,
Mais il faut être sûr à l'avance de ne point s'y faire dépiauté.

Notes

Dans le titre de la version originale de La Fontaine, le Renard est au singulier ; c'est Marcel Douillard qui le passe au pluriel.

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