Le Loup et l'Agneau

Version originale de Jean de La Fontaine, LIVRE PREMIER, FABLE X

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère.
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens :
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

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Version maraîchine et traduction

Parlange Français
U

n Gnâ bouvait son saoul

D'eau claire à la filée
Quand au védit un Loup
A la goule arognée
Qu' avait sûr pouet mangé, vanter', dampis six jours :
« De cassouiller tchielle eau, qu'est-o qui t'a permis ?
Dicit-y au Gnâ tot en pour.
D'avoir eu tchio toupet, te vas d'être puni.
- Messiu, dicit le Gnâ, fâchez vous pouet si fort,
Y est rin brouillé d'abord ;
Vous voyez toujours bé qui s'est en debas d' vous,
Et que, de tot's manières, o s'rait clair à vot' bout.
- Y te dis qu' tos-à-fait, baula tchia fallie bête,
Et pis qu'as-tu pouet dit de mo dampis six mois ?
- Six mois ? Y éto pouet nét'.
- Bé alors t'chiest ton frare ? - Y en ai pas un ma foi.
- Ou bé ton tonton ? Y a t'un' chos' qui sais bé,
T'chiest qu'alentour de mo, vous f'sez courir vos chés.
Et pis y en a t-assez de tos tchiés compliments,
O faut qu'ol en finij' ; Tchi chôme à catinent. »
Le Loup sautit su l' Gnâ, sans qu' l'ai-j' podiu dir' bê.
La lain', la péa, les ous, l'en fit qu'une bouchée.

On peut toujours s'attendr' bé qu'on aije pouet tort
A d'être baisé un jour quand on est pouet l' plus fort.

Un Agneau buvait son saoul

D'eau claire au ruisseau
Quand vint un Loup
A la tête hargneuse
Qui n'avait sûrement pas mangé, peut-être, depuis six jours :
« De salir cette eau, qui est-ce qui t'a permis ?
Dit-il à l'Agneau tout en peur.
D'avoir eu cette audace, tu vas être puni.
- Monsieur, dit l'Agneau, ne vous fâchez pas si fort,
Je n'ai rien troublé d'abord ;
Vous voyez toujours bien que je suis en contrebas de vous,
Et que, de toutes manières, ca serait clair à votre bout.
- Je te dis que tu l'as fait, cria cette méchante bête,
Et puis que n'as-tu pas dit de moi depuis six mois ?
- Six mois ? Je n'étais pas né.
- Bien alors c'est ton frère ? - Je n'en ai aucun ma foi.
- Ou bien ton oncle ? Il y a une chose que je sais bien,
C'est qu'autour de moi, vous faites courir vos chiens.
Et puis il y en a assez de tous ces discours,
Il faut que ça finisse ; ça urge. »
Le Loup sauta sur l'Agneau, sans qu'il ait pu dire bê.
La laine, la peau, les os, il n'en fit qu'une bouchée.

On peut toujours s'attendre bien qu'on n'ait point tort
A être attrapé un jour quand on n'est pas le plus fort.

Notes

Tout à l'heure : immédiatement.

Vas : vais.

Tette : tète.

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