Le village de Saint Juire Champgillon

Deux bourgs pour un village

Le village de Saint Juire Champgillon, situé entre le village de La Réorthe au nord et la petite ville de Sainte Hermine au sud, est composé de deux bourgs : Saint Juire (autrefois Saint Georges la Plaine, puis Saint Juire de la Plaine) et Champgillon (Sét Jure et Changiin en patois local). La forme Juire résulte d'une altération de Georges (Saint Georges est le patron de la paroisse). Ses habitants sont dénommés Saint-Juiriens.

Carte Cassini Carte d'état-major

Carte Cassini à 1/86400 achevée en 1815

Carte d'état-major type 1889, révisée en 1948

La physionomie du bourg de Saint Juire a peu évolué à l'époque moderne et il conserve encore aujourd'hui son aspect traditionnel charmant comme en témoignent les deux photographies ci-dessous :

La Grande Rue autrefois La Grande Rue aujourd'hui

La Grande Rue autrefois

La Grande Rue aujourd'hui

Il est donc resté digne d'inspirer des artistes. Eric Rohmer l'a choisi comme cadre de l'un de ses films. Chantal G., artiste locale du Champ Saint Père, en a peint le tableau suivant :

Saint Juire d'après Chantal G.

Saint Juire d'après Chantal G. (Gendronneau)

Saint Juire Champgillon, vous connaissez ?

Jean-Claude Pubert est un passionné de son village. Lisez-le ci-dessous chanter son amour pour sa contrée favorite...

Saint Juire Champgillon, vous connaissez ?

En tout cas, lorsque l'interlocuteur n'est pas familier avec ce nom, il est incontestable que la séquence sonore assez peu commune retient l'attention.

Enroulée dans les premiers contreforts du bocage vendéen, cette commune de 450 habitants est l'un des symboles vivants de la « Douce France » que Charles Trenet a merveilleusement chantée. En effet, pour les amateurs d'environnement, Saint Juire Champgillon est un petit joyau naturel et architectural où s'est maintenue une alliance intime entre le terroir et les habitants. Et, par conséquent, c'est un lieu privilégié où l'homme du troisième millénaire peut encore goûter l'art de vivre, un autre art de vivre car la conservation du patrimoine n'y est pas une vaine expression.

Nous ne pouvons pas ignorer que les transformations dont l'espace social français est le théâtre depuis les années 1950 sont le résultat de la modernisation, de la politique du « toujours plus », tendant à dégrader le patrimoine... Le patrimoine n'exprime-t-il pas pourtant la mystérieuse continuité qui unit tout ce qui a été produit au fil des âges et tout ce qui sera susceptible de se produire dans les temps à venir ? C'est donc non seulement l'affaire du passé mais surtout une affaire d'avenir, et les principaux acteurs locaux l'ont bien compris.

Dans le cadre de l'aménagement du centre bourg, des granges ont été restaurées et des artistes contemporains y exposent leurs œuvres pendant l'été. Une refonte de la place de l'église a été réalisée récemment en respectant l'authenticité de l'histoire du site : pavage de l'entrée, mise en volume des espaces nus avec végétation évoquant par ses formes l'ancien cimetière qui entourait l'église, et construction de murets qui mettent en valeur le monument.

L'église de Saint Juire

L'église de Saint Juire

L'aménagement général du territoire de la commune est envisagé sous un angle esthétique puisque l'effacement des réseaux électriques est quasiment total dans le centre bourg. Un centre bourg dont le fleurissement a été récompensé le 25 septembre 1999 par deux petites fleurs (en réalité des trèfles rouges) décernées à l'occasion du concours national des villes et villages fleuris. Cette harmonisation entre architecture rurale ancienne et fleurissement apparemment désordonnés constitue le critère de jugement des spécialistes en ce qui concerne le village. Parmi les lieux très appréciés par ce jury, citons le lavoir et la fontaine situés dans l'impasse Saint-Georges.

Fontaine Saint-Georges

Fontaine Saint-Georges

C'est un lieu de recueillement poétique et écologique où se côtoient avec élégance ormes, hêtres, charmes, frênes, chênes, lupins, jonquilles, pensées, et qui offre des couleurs impressionnistes au printemps. De plus, la fontaine Saint-Georges est l'objet de la légende du village, légende selon laquelle, chaque année, la plus belle des lavandières était dévorée par le dragon (sorte de serpent volant) qui sortait de ladite fontaine. Une certaine année, le cavalier Saint-Georges de passage dans la région s'élança sur le monstre, lui enfonça son épée dans le gorge et délivra la jeune fille. Aussitôt une source abondante se mit à couler en cet endroit... Scène immortalisée dans l'église par une bannière en soie brodée datant du XVIe siècle et un tableau naïf du XVIIIe siècle, récemment restauré, classé à l'inventaire supplémentaire des Monuments Historiques.

Saint-Georges

Tableau de Saint-Georges

En 1989, deux jeunes autochtones qui n'étaient autres qu'un ami et moi-même, ont joué les ethnologues en herbe et ont réalisé Le parler saint-juirien, un petit dictionnaire pour préserver la tradition orale, ces désormais fragiles trésors linguistiques légués par nos ancêtres. Ce singulier opuscule constitue une flamboyante collecte de mots et expressions littéralement « sortis de derrière les fagots » accompagnés de savoureuses illustrations dans un esprit gaulois.

Couverture du parler saint-juirien

Couverture du parler saint-juirien

Naturellement, dans le passé, rien ne valait le contact auditif avec cette ineffable bande sonore originale que l'on captait exclusivement sur la fréquence des ruelles et des caves de notre microcosme rural !

Enfin, Saint Juire Champgillon fut en 1992 le lieu de tournage du film d'Eric Rohmer l'Arbre, le maire et la médiathèque. Ce long métrage réunit les acteurs Pascal Greggory, Arielle Dombasle, Fabrice Luchini et Clémentine Amouroux, mais aussi des habitants, acteurs spontanés s'improvisant avec aisance dans des rôles sur mesure. Belle promotion donc pour le village par la grâce d'un metteur en scène hors du commun et aussi d'un certain nombre de concitoyens à la prestation naturelle et pittoresque. Rappelons que le film met l'accent sur le rôle du hasard dans l'Histoire, dont Eric Rohmer tire une réflexion ironique. Une anecdote inventée sur un documentaire on ne peut plus vrai. Mais, à défaut d'une médiathèque, soyons heureux de vivre dans un village semblable, selon le mot de Rohmer, « à un tableau de Ruisdael ».

Terminons cette présentation par l'hymne local interprété uniquement par le sacristain carillonneur lorsqu'il sonne les quatre cloches non électrifiées de l'église. Assurant seul cette fonction depuis 1956, quotidiennement, rituellement, religieusement, il égrène avec émotion la vie du village pour les angélus et pour les cérémonies de tristesse et de bonheur. Pour les fêtes carillonnées, il peut donc interpréter cet hymne :

Vive Saint Juire, vive ses enfants,
La classe des fortes têtes,
Vive Saint Juire, vive ses enfants,
Je suis content d'en être.

Un double distique évoquant, avec une certaine malice, la singularité des authentiques personnalités de Saint Juire Champgillon qui affirment sans ambages une incontestable potentialité cérébrale tendrement clochemerlesque, mais dont la succession n'est désormais plus assurée.

Jean-Claude PUBERT

Saint Juire, jardin d'Éric Rohmer

Cet article est paru dans le numéro d'Ouest-France du 19 juillet 2001, édition Vendée-Est, à la rubrique La Vendée grand écran avec le sous-titre suivant : « L'arbre, le maire et la médiathèque » a été tourné dans le Sud-Vendée. Le voici dans son intégralité.

Le cinéaste Éric Rohmer a fait de la commune de Saint Juire Champgillon la vedette de « L'arbre, le maire et la médiathèque ». Un film où le hasard a tenu un grand rôle.

L'arbre, le maire et la médiathèque (ou les sept hasards)

Affiche du film « L'arbre, le maire et la médiathèque (ou les sept hasards) »

Éric Rohmer tourne en 1992 « L'arbre, le maire et la médiathèque », à Saint Juire Champgillon, localité de 452 âmes, située près de Sainte-Hermine, dans le Sud-Vendée. Un hasard. Bruno Chambelland en est, à ce moment-là, le maire sans étiquette. Poste qu'il occupera de 1989 à 2001 avant de passer le relais pour des raisons professionnelles. Car il partage son temps entre sa commune et Paris, où il est commissaire-priseur à l'hôtel Drouot. Il a dans ses relations l'acteur de cinéma Pascal Greggory.

En s'entretenant avec le comédien, Bruno Chambelland parle de sa fonction de premier magistrat et de son combat pour redonner vie à une localité qui se désertifie. Cette discussion est à l'origine d'une rencontre avec le cinéaste Éric Rohmer. Lequel, à l'époque, a dans l'idée de faire un film sur (et contre) les architectes. Il décide donc de découvrir Saint Juire Champgillon. Son premier contact avec la commune a lieu en octobre 1991 : « J'ai le site de mon prochain film », dit-il.

Les repérages terminés, le tournage (75 % de la réalisation) se déroule donc à Saint Juire, en trois étapes : mars, juin et septembre 1992. Éric Rohmer a besoin d'un assistant local. Accaparé par son travail, Bruno Chambelland propose cette tâche à Jean-Claude Pubert, conseiller municipal, chargé de la culture : « L'équipe des techniciens et des acteurs était hébergée au château de Champgillon, chez le maire. J'étais avec eux du matin au soir. Je participais à la vie de l'équipe. J'ai eu un bulletin de salaire de la compagnie d'Éric Rohmer. »

Jean-Claude Pubert

Jean-Claude Pubert a été l'assistant local d'Éric Rohmer, à Saint Juire Champgillon. Il a aussi joué dans le film. On le voit ici près du lavoir Saint-Georges, l'un des lieux du tournage.

À charge pour Jean-Claude Pubert de trouver six figurants locaux : une commerçante, le sonneur de cloche, un agriculteur retraité, le garde champêtre, un agriculteur en activité dans une petite exploitation. À charge, pour lui également, de s'occuper de l'intendance.

Jean-Claude Pubert se souvient d'un cinéaste discret, cultivé, toujours d'humeur égale. Un homme de 72 ans travaillant sobrement (avec trois techniciens seulement) et capable de manager des comédiens comme Fabrice Luchini, Arielle Dombasle, Pascal Greggory.

« Éric Rohmer avait une manière libre de tourner, sans horaires imposés. Ce qui était incroyable, c'était de savoir que je participais à l'élaboration d'un film et je ne voyais pas ce que ça allait donner. » Le résultat, c'est une fable ou un conte comme souvent dans les œuvres d'Éric Rohmer. Le maire de Saint Juire, en Vendée, Julien Dechaumes, élu sous l'étiquette socialiste, a un projet grandiose : doter son village d'un centre culturel et sportif, comprenant, outre une piscine et un théâtre de verdure, une bibliothèque, une vidéothèque, une discothèque, une salle d'expositions, rassemblés en une « médiathèque ». Ses relations parisiennes lui ont permis de trouver des crédits nécessaires. Tout va très bien et continuerait d'aller le mieux du monde si...

L'arbre, un saule blanc centenaire, a résisté aux tentations du « faux-maire ». Mais pas aux intempéries. Il est tombé victime d'une tempête le 4 avril 1994. On en a replanté un autre. Quant à Jean-Claude Pubert (il avait 25 ans au moment du tournage), il a fait carrière dans l'Education nationale. Il avoue toutefois : « Depuis un an, j'enseigne l'anglais dans une école de cinéma à Nantes. » Un hasard, selon lui. « L'arbre, le maire et la médiathèque » s'appelle aussi « Les sept hasards ».

Éric Rohmer est l'auteur, entre autres, de « Ma nuit chez Maud », « Le genou de Claire », « Pauline à la plage », « Les nuits de la pleine lune », « L'ami de mon amie », « Les contes des quatre saisons ».

Pierre BÉGOC.

Notes

Jacob Van Ruisdael (Haarlem 1628/1629 - Haarlem 1682) est un peintre néerlandais de l'école paysagiste hollandaise.